
Association Charles Plisnier
Le 21 avril 2012, remise du Prix Langue et littérature Joseph Hanse à Geneviève Michel Pour son essai Paul Nougé
Le 21 avril 2012, l’Association Charles Plisnier a remis le Prix Langue et littérature Joseph Hanse à Geneviève Michel pour son essai Paul Nougé, la poésie au cœur de la révolution, paru en 2011 chez Peter Lang en coédition avec les Archives et Musée de la littérature1. C’est le n° 19 dans la collection « Documents pour l’Histoire des Francophonies/Europe » qui, dans l’optique de la reconnaissance, de l’approche, et de la compréhension des différentes cultures et littératures francophones, a pour but de mettre à la disposition du chercheur et du public, de façon critique ou avec un appareil critique, des textes oubliés, parfois inédits. Cette collection, dirigée par Marc Quaghebeur, publie également des travaux qui touchent à la complexité comme aux enracinements historiques des francophonies et qui cherchent à tracer des pistes de réflexion transversales susceptibles de tirer de leur ghetto respectif les études francophones, voire d’avancer dans les rapports entre langue et littérature. Le livre de Geneviève Michel fait partie d’une série consacrée à l’Europe, une deuxième l’étant à l’Afrique et une troisième, aux problèmes théoriques des francophonies.
Tout cela, nous y avons été attentifs après la lecture de l’ouvrage même dont les caractéristiques et les qualités correspondent bien au projet expliqué ci-dessus. Sous la direction de Daniel Laroche, directeur de la Maison de la Francité, le jury était composé de Myriam Watthee-Delmotte, professeur à l’UCL et responsable scientifique du Fonds Henry Bauchau (LLN), de Robert Massart, professeur, administrateur de l’ABPF, de Michel Voiturier, professeur, écrivain et critique littéraire et de moi-même.
Lors de la séance de remise du prix, Daniel Laroche, fin connaisseur lui aussi de l’œuvre du poète surréaliste, a rappelé l’intérêt particulier que nous avions trouvé dans l’essai Paul Nougé, la poésie au cœur de la révolution. Première raison essentielle : mettre en lumière ce grand écrivain si original tant par la pensée que par l’écriture, et trop oublié. Ensuite, dans l’étude elle-même, l’historienne qu’est Geneviève Michel a su décrire, nuancer, recréer cette période extrêmement complexe du mouvement surréaliste en Belgique ainsi que la particularité du surréalisme bruxellois. Elle est entrée au cœur des convictions et des démarches de Paul Nougé, recourant aux hypotextes afin de dégager sa logique d’intervention. Cela l’a amenée à un inventaire minutieusement analysé des procédés d’écriture et de réécriture de l’écrivain, s’appuyant sur de multiples exemples.
La conception de cet ouvrage en fait un outil remarquable pour tout lecteur désireux de (re)découvrir l’œuvre de Nougé et – je pense ici aux enseignants – d’en retirer des angles de découverte séduisants pour leurs étudiants.
Marie-Ange BERNARD
Note
1 Geneviève Michel, Paul Nougé, la poésie au cœur de la révolution, Peter Lang/AML, 2011. http://www.peterlang.com/ http://www.aml-cfwb.be/
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Intervention de Geneviève Michel à La Fleur en papier doré,
le 21 avril 2012
De la rencontre à l’essai : Paul Nougé
Dans les quelques minutes qui me sont imparties, il serait frustrant de tenter de vous résumer le contenu de l’ouvrage, je vous conseille plutôt de le lire ! Je préfère vous raconter en quelques mots pourquoi je me suis intéressée à Nougé, ce qui m’a attirée chez lui, et pourquoi j’ai orienté mes recherches plutôt vers le dépouillement d’archives que vers l’analyse littéraire.
J’ai rencontré Paul Nougé il y a longtemps, à Paris, et plus précisément aux Puces de Saint-Ouen. Dans un stand de soldes de livres, l’ami qui m’accompagnait, et qui était très intéressé par les situationnistes, découvre un stock de la revue Les Lèvres nues, éditée par Marcel Mariën et rééditée aux éditions Plasma. Les numéros 6 à 9 de cette revue contiennent des articles de Guy-Ernest Debord et quelques contributions de ses amis lettristes internationaux. Destinée au départ à la publication des textes de Nougé, la revue permettait à ces deux grands « détourneurs » de se côtoyer sur le papier, après s’être brièvement rencontrés à Paris en 1954. C’est par ce biais que j’ai découvert cet auteur, alors presque inconnu, et que j’ai commencé à m’intéresser à lui. J’avoue cependant que je ne comprenais pas grand-chose à ses écrits, tant il est vrai que Nougé n’a rien fait pour faciliter la vie à son lecteur ; un point d’interrogation m’en était resté dans un coin de la tête. Par la suite, lectrice à Saragosse, j’ai organisé un séminaire libre sur les avant-gardes en Belgique, de Dada à Cobra. Le point d’interrogation Nougé a ressurgi, en même temps que la fascination pour son écriture, ses ellipses, ses aphorismes, sa poésie et son inscription dans son époque. Ce sont surtout les textes d’Histoire de ne pas rire, dépourvus de contexte, qui me posaient problème et je suis tout naturellement restée avec Nougé quand, à Barcelone, il s’est agi de poursuivre des recherches. J’ai continué de tirer le fil, celui qui tisse des liens entre Nougé et les mots des autres, entre Nougé et la politique, Nougé et la science, Nougé et la littérature, bref entre Nougé et la vie. Je pense avoir dévidé quelque peu l’écheveau, mais il reste encore beaucoup de fil dans la pelote…
Historienne de formation, c’est assez vite vers les vieux papiers que je me suis dirigée, de là mon rapport privilégié avec les Archives et Musée de la Littérature, qui conservent les archives de Marcel Mariën et donc celles de Nougé que Mariën avait récupérées. Ce que je pensais être une étape préparatoire à une analyse de textes est devenu le cœur même de mon travail : la recherche des hypotextes, c’est-à-dire des textes qui ont servi de base aux réécritures de Nougé, et leur comparaison avec le texte abouti, en vue d’une étude des stratégies d’écriture mises en œuvre par le poète. Car, il faut le constater, Nougé ne s’autorisait pas – ou guère – d’écriture personnelle, il avait résolument opté pour une écriture que l’on pourrait qualifier de « dépersonnalisée », en ce sens qu’elle passait presque systématiquement par la voix des autres. Il a utilisé le terme d’imitation perverse pour dénommer cette pratique, mais on peut tout aussi bien parler de « détournement », en raison de la filiation qui peut être établie avec les situationnistes.
Ce travail sur les hypotextes m’a menée à quelques découvertes stimulantes, qui permettent de préciser tant les présupposés que les intérêts et les influences de Nougé. Il m’a permis aussi de mieux dégager le sens de sa démarche. Je suis loin de nier ses immenses qualités de poète, mais je pense qu’il faut lui rendre justice et lui éviter la dérive qu’a subie René Magritte, désormais plus connu comme peintre décoratif que comme peintre révolutionnaire. Ce que voulait avant tout Nougé, marqué d’abord par des influences anarchistes, puis transformé par la Révolution d’octobre, c’était changer le monde. Il s’est défendu, en dépit de son attrait pour la chose littéraire, d’utiliser l’écriture à des fins esthétiques ou d’expression personnelle, ou même pour un usage directement militant. Je vous renvoie ici à ses Notes sur la poésie. Il voulait l’utiliser comme une arme, une arme puissante de libération morale. Il s’agissait pour lui de débusquer les automatismes de langage et de pensée qui reproduisent l’ordre du monde, et de toucher chacun au plus profond de sa langue et de sa culture, au cœur même de son identité. Tout le travail d’écriture de Nougé visait ainsi à provoquer un effet bouleversant chez son lecteur et à le pousser à repenser sa vie en transformant le monde. C’est donc, paradoxalement, dans le détournement des mots des autres que réside son originalité. C’est ainsi qu’il plaçait la poésie au cœur de la révolution, et non à son service.
Avec une rigueur et une constance rares, il est toujours resté fidèle à cet objectif de subversion, quoi qu’il lui en ait coûté. C’est par là aussi qu’il est resté en phase avec son époque. En négligeant cette constante de son écriture, on passerait à côté de l’essence de son œuvre, mais aussi de sa vie et de son drame. Si je dois mettre en exergue un apport de l’ouvrage qui est à l’honneur aujourd’hui, c’est la démonstration de l’importance du lien entre la réécriture et les objectifs révolutionnaires que Nougé s’était assignés. Le patient travail de confrontation des textes et des hypotextes de Nougé peut être poursuivi ; une contextualisation systématique de ses écrits théoriques devrait être entreprise ; l’analyse de sa poésie, déjà largement et brillamment abordée par Marc Quaghebeur, devrait être élargie, mais on ne peut plus faire l’économie des présupposés éthico-politiques qui ont régi sa vie et son œuvre, ni de leur influence sur ses stratégies d’écriture.
On n’a pas fini d’y réfléchir…

Dimanche 10 mai 2012
Spectacle poétique à Eghezée
Les utilités du rêve

Jean-Michel et Joëlle Aubevert ont interprété les textes du recueil éponyme, avec une création et une interprétation musicales de Piet Lincken et une exposition des dessins de Catherine Berael qui illustrent le livre.
C’était l’occasion fêter les dix ans des éditions Le Coudrier, vouées à la poésie.
Jean-Michel Aubevert ne s’est pas contenté de recueillir le décor changeant de la nature. Ainsi que le conseilla le peintre, il a rêvé devant. Il en a sollicité l’expression, courtisé le geste. Il l’a fréquentée comme il convient à l’amateur d’art. Il va écrire sur le motif, pour reprendre l’expression chère aux impressionnistes.
Catherine Berael explique : Dans mon atelier, je déclinai traits et couleurs intenses au fil des saisons, un peu d’encre de chine accentuant l’ombre et le relief. (...) Ses poèmes couchés sur des pages blanches pliées en quatre s’ouvraient sous mes doigts. Je les laissais flotter quelque temps puis en esquissais le prolongement sur le papier.