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Le fil glacé de l’errance

Anywhere d’après Œdipe sur la route d’Henry Bauchau au Théâtre 140


Des lettres se dessinent sur un miroir glacé, elles se déforment, deviennent des larmes noires et le miroir se brise dans une gerbe d’étincelles, comme une vie qui court-circuite – Restent la percussion obsédante du silence, des éclats de lumières rougies, des mots qui se murmurent.


Une silhouette, fragile et blanche, s’avance d’un pas mal assuré. C’est Œdipe, le roi déchu, et, à travers lui, tous les exilés, ceux qui hantent la catastrophe, ceux dont la vie s’est arrêtée, prise dans le gel.


Une forme se devine, peu à peu, derrière la marionnette. Antigone sort de l’ombre de son père, elle suit un cercle crissant de glace et de pierres. L’exil sera l’enfermement, la solitude à deux.


Dans la salle, le public glisse dans un autre temps, le temps d’après – lent, boiteux et dansant, suspendu, sans repère.


Le défi, relevé par Élise Vigneron et Hélène Barreau, est celui d’une matière, la glace, une matière éphémère, utilisée comme une métaphore pour dire l’indicible, la fragilité, le dépouillement, le vide. Les spectateurs sentent son souffle sur leurs visages, entendent ses craquements quand elle fond, puis l’abandon des gouttes qui s’échouent sur le sol ou le martèlent comme une horloge irrégulière.


Du roman foisonnant d’Henry Bauchau, Œdipe sur la route, Élise Vigneron a retenu une épure, un fil : le départ, sur la route, vers nulle part ; l’expérience d’être étranger partout, à tous et à soi ; la fuite qui devient un cheminement intérieur. La marionnette prend alors une valeur symbolique. Elle donne l’image de l’homme prisonnier des fils de son destin, qui le dirigent à son insu ; elle est l’aveugle tâtonnant qui doit apprendre à se mouvoir, qui découvre les gestes qu’il faisait sans y penser ; elle est cet homme qui, après la prise de conscience de la vérité, cherche le fil qui pourrait le conduire à un déliement.


La comédienne est en symbiose avec les mouvements hésitants du petit corps de glace. Elle le porte, le protège comme un nouveau-né, le guide, tente de l’entraîner, le perd. Les mots sont rares, les corps parlent. Au fil de la représentation, les spectateurs assistent à une lente transformation. La marionnette semble pleurer, se met à pleuvoir doucement. Elle se désagrège, de plus en plus fragile, et en même temps paraît se libérer de toute pesanteur. Elle s’évade vers l’ailleurs, comme Œdipe qui se trouve en se perdant, apparaît en disparaissant.


Anywhere est un spectacle intense et audacieux. Loin d’une adaptation classique d’un roman, il propose une transposition plastique de la poésie du texte. Le spectateur est immergé dans des atmosphères troublantes, au cœur d’une danse fantomatique où les émotions se mettent à nu. Élise Vigneron est une créatrice d’images, celles saisissantes de cet Œdipe de glace hanteront longuement les spectateurs.

Anywhere au Théâtre 140

d’après Œdipe sur la route d’Henry Bauchau

avec Élise Vigneron et Hélène Barreau

du 4 au 6 décembre 2019




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