Des gommes pour imprimer la vie. Kikie Crêvecoeur à la Bibliotheca Wittockiana

Si l’épreuve du confinement pouvait avoir quelques mérites, l’un d’eux serait de nous avoir forcés à prendre conscience, avec une acuité nouvelle, de l’importance de la culture pour nos vies. Nous avons besoin de littérature, de musique, de tableaux, de films autant que d’air et d’eau. Il en va de notre survie mentale en des temps qui ont révélé notre immense fragilité.
Durant les semaines où, pour beaucoup, la vie était suspendue, où nous étions soudain déshabitués de nos existences, où la mort affleurait partout, le monde de la culture a continué d’agiter les esprits, d’élargir les instants, de nous faire voyager en nous-mêmes, de questionner le sens. Il a fait preuve de cette capacité d’invention du réel et de réaction devant l’immaîtrisable qui est la définition de l’activité artistique. Ce monde culturel est une galaxie d’institutions qui, d’année en année, se battent pour survivre, d’hommes et de femmes dont le quotidien est, trop souvent, l’incertitude. La crise les frappe durement ; le risque d’hécatombe est réel ; il appartient au public de les soutenir par sa curiosité et son enthousiasme.
Ainsi, le déconfinement est-il l’occasion de découvrir la « muséo-diversité » de la Fédération Wallonie-Bruxelles, de retrouver les œuvres dont nous avons été privés, mais aussi d’aller à la rencontre de créations inconnues et d’ouvrir grand l’horizon culturel.
Parmi les musées qui accueillent à nouveau le public cette semaine, figure la Bibliotheca Wittockiana. S’il n’était plus autorisé de passer la porte de ce musée, il était cependant possible de le laisser entrer chez soi. Dans le cadre de l’opération Museum at home, lancée par les musées bruxellois, la Bibliotheca Wittockiana a en effet proposé des découvertes de ses trésors grâce à des vidéos, des visites virtuelles en 3D et des textes mis en ligne. Cette initiative, qui se prolongera dans les prochaines semaines, s’accompagne aujourd’hui de la réouverture de l’exposition de Kikie Crèvecœur, brutalement interrompue quelques jours après son vernissage.
Ces premières visites se dérouleront dans une atmosphère étrange, solitaire et silencieuse. Sans doute, cette ambiance est-elle particulièrement appropriée aux gommes de Kikie Crêvecoeur, ces petits objets qui demandent une attention recueillie. Kikie Crèvecœur a en effet choisi l’objet qui sert à effacer pour garder la trace de la vie. Sur ces gommes, l’artiste incise le quotidien. Leurs impressions se déploient sur les murs en longues frises pareilles aux pellicules d’un film à venir ou se plient et se déplient en petits accordéons de vie, quand elles ne s’éparpillent pas comme les timbres estampillés d’anciens présents. L’œil parcourt l’empreinte de ces jours, surpris d’y découvrir les souvenirs d’un voyage à New York ou à Rome, la trace de la visite d’Agnès Varda...
La multiplication de petits motifs rectangulaires compose aussi d’hallucinants portraits en arbre. La forêt mystérieuse où l’ombre capture la lumière, l’envol de l’oiseau dont les ailes font osciller le jour et la nuit sont des fils qui traversent l’imaginaire de Kikie Crèvecœur, et, comme des oiseaux, ses images viennent se poser dans les livres. L’exposition explore en effet les rencontres entre le travail de la plasticienne et celui d’écrivains et d’éditeurs. L’image et le texte entrelacent leurs complicités, l’œuvre se fait à quatre mains. Ainsi, les arbres trognés, réalisés avec Caroline Lamarche – ces arbres élagués, qui deviennent des têtes sur des corps bossus – donnent-ils l’image d’une résistance, d’un travail âpre et endurant, d’un acharnement à vivre.
« Kikie Crêvecœur, entre les pages » à la Bibliotheca Wittockiana
23 rue du Bemel, 1150 Woluwé-Saint-Pierre
Ouverture limitée aux mercredis, samedis et dimanches de 10 à 18h ;
Les visiteurs devront prévenir de leur passage par mail au minimum 24h à l’avance (info@wittockiana.org) ;
Les visites auront une durée limitée d'une heure ;
L'entrée au musée sera limitée à 4 personnes (ou plus pour les personnes habitant sous le même toit) toutes les demi heures ;
Le port du masque - ou d'une autre protection faciale - est souhaité.